Réflexions sur l’art et le féminisme (de prison) avec Zehra Dogan

Connaissez-vous Zehra Dogan ? Suite a des recherches sur le web je suis tombée sur cet extrait du livre “Nous aurons aussi de beaux jours” écrit de prison par l’artiste kurdes Zehra Dogan que je souhaitais vous partager ici.

Zehra Dogan a 30 ans. Artiste, journaliste et auteure Kurde en Turquie, elle est la fondatrice et l’éditrice de Jinha, agence de presse féministe kurde (qui compte une team 100 % féminine). Elle a été arrêté en 2017 et mise en prison pour avoir peint une attaque militaire par les militaires turques sur un territoire kurde, sur un immeuble en ruine. Cet aquarelle n’était qu’une reproduction peinte d’une photographie. Les autorité Turques en ont déduis qu’elle était liée au parti travailleur Kurdes, que le gouvernement considère comme une organisation terroriste. Elle a donc été condamné à 2 ans et 10 mois de prison fermes lors desquels elle a écrit le livre “Nous aurons aussi de beaux jours”.

Portrait of Zehra Dogan (artist, journalist) at La Galerie des Femmes 09/11/2019 ©Patrice Normand/Leextra via Leemage

Lettre du 8 novembre 2017 : réflexions sur l’art et la création 

Je suis passée provisoirement à un lit près de la fenêtre. Il n’est pas possible d’y rester sans être enveloppée d’une couverture. Comme le quartier est très étouffant, les fenêtres ne sont jamais fermées. L’endroit le plus froid de ce quartier, qui est déjà glacial, est naturellement à coté des fenêtres. Nous sommes comme des personnes sans maison qui dorment dans la rue. Dans la prison, on comprend encore mieux leur situation. Quand tu dors, il ne faut pas qu’une seule partie de ton corps reste découverte. Je plonge alors toute entière sous la couverture, même la tête pour éviter d’avoir le nez gelé. Moi qui aime la chaleur, comme les chats, ce froid n’arrange pas mon affaire. En plus, les détenues arrivent les unes après les autres et notre nombre augmente chaque jour.
Certaines des amies qui sont prisonnières ici depuis des mois ne savent même pas pourquoi elles sont en prison car leur réquisitoire n’a pas encore été prononcé. Les gens sont anesthésiés par la société de classes qui règne depuis des millénaires et ne veulent même pas en prendre conscience. Ainsi, il n’est pas possible de dire “Assez !” de façon collective. Bien sûr, l’humanité continue de progresser contre toutes ces pratiques de destruction… oui, mais malheureusement, elle n’arrive pas à dépasser un seuil significatif. Là encore, selon moi, l’art et la science jouent un grand rôle. Peut-être que s’ils étaient libérés du pouvoir pour se réapproprier leur vraie mission, le monde ne serait pas aujourd’hui dans cet état. Une conception de l’art et de la science prend racine chez les dominants et se développe avec eux. En vérité, les dominants et le capitalisme arrivent à se maintenir avec l’extraordinaire appui de l’art et de la science. Parce qu’ils s’en nourrissent aussi. Et ce, depuis le début, depuis l’époque des états des prêtres sumériens. Ils ont réussi à dériver le fleuve de l’art et de la science, qui doit couler vers les peuples, et à se les approprier  en le canalisant à leur profit. A mon avis, on devrait considérer que l’art véritable ne peut être qu’un art indépendant du pouvoir. L’art qui mange dans la main du pouvoir est déjà en état de putréfaction. Ainsi, chaque état ou pouvoir prend particulièrement l’art sous sa science et sa ‘coupe’. Parce qu’il en a très peur. Il fait alors semblant de nourrir ce qui l’effraie, il l’anesthésie avec des fonds et des subventions, et ensuite lui rend l’existence impossible sans l’aide de ses ressources, le rendant dépendant, tel un drogué. Il vide ainsi de sens l’art et la science, qu’il a transformés en serviteurs en les condamnant à produire selon ses orientations. De cette manière, l’art et la science produisent des résultats encore plus superficiels et qui se répètent, au service direct ou indirect du capitalisme. Il ne s’agit plus de créations et d’inventions nouvelles, mais de reproductions, répétitions, stéréotypes, ou simples aménagements de ce qui existait avant. Parce que des cerveaux anesthésiés ne peuvent pas créer, inventer ; ils s’autocensurent en se forçant à agir dans le sens attendu par le pouvoir. *
En regardant l’Histoire, nous voyons que les inventions, découvertes et créations réalisées dans une période où il n’existait aucune structure hiérarchique, 6000-4000 av J.-C., s’arrêtent avec l’instauration des États des prêtres sumériens. Chez les Sumer, il est question seulement d’améliorer ce qui a déjà été inventé et créé. Les innovations, même si elles ne sont pas inexistantes, sont extrêmement rares. Une nouvelle période de création arrive vers 1600-1900, mais ensuite, c’est de nouveau un cycle stérile. C’est à dire que même si par moments, dans l’Histoire, il y a eu de fortes percées de liberté, celles-ci furent soit étouffées, soit asservies par la stratégie sournoise du pouvoir.
Aujourd’hui, à force de nous débattre dans les marécages de la guerre, happé.e.s une fois encore par la spirale stérile, nous n’arrivons plus à créer. Notre principal souci est de survivre. Paradoxalement, les percées les plus fortes naissent pourtant dans les temps les plus difficiles. *
Où en suis-je arrivée ? Je suis partie de la froideur du lit, et mes propos ont dérivé vers un tout autre sujet. J’avais pas mal réfléchi à tout cela il n’y a pas longtemps. C’est sans doute la raison. J’aime te parler de ces choses. Ma tête en est pleine. Même si tu risques de trouver mes paroles étranges ou insensées, moi, j’aime t’en parler. 

“Nous aurons aussi de beaux jours” Zehra Dogan

*Cette article est inspiré de l’article sur le même thème du blog http://hypathie.blogspot.com/

Julia.

P.S : As-tu lu notre article sur notre Routine du dimanche pour une semaine hyper productive ?

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